Gaël Morel : “Le documentaire m’intéresse quand il parle de ce qui se passe aujourd’hui”
À l’occasion de la sortie en DVD du documentaire Famille tu me hais le 18 mai prochain, Artistik Rezo est allé à la rencontre du réalisateur Gaël Morel, pour entendre sa voix sur le sujet difficile de l’homophobie au sein de la famille.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et résumer votre parcours professionnel ?
Je suis réalisateur, Famille tu me hais est mon premier documentaire. J’ai toujours été passionné par le cinéma. C’est une passion en autodidacte, à la campagne dans les années 80, on voyait beaucoup de films à la télé les mardis soirs. Ensuite, pour être le plus proche possible de ma passion, j’ai choisi une section A3 cinéma au lycée. C’étaient les premières années où on a fait entrer le cinéma dans l’éducation nationale. J’étais du côté de Lyon et je suis monté à Paris. J’ai écrit mon premier scénario de court métrage. J’ai eu l’avance sur recettes pour mon premier court métrage à 20 ans et parallèlement, j’ai tourné dans Les Roseaux sauvages d’André Téchiné en tant qu’acteur. J’ai également écrit le scénario de mon premier long métrage au même âge. Quand Les Roseaux sauvages est sorti au cinéma, j’avais un des courts métrages qui était en train de faire des festivals et je mettais en préparation mon premier long métrage. Comme le film d’André Téchiné a eu beaucoup de succès, ça a été un accélérateur pour moi. Pourtant, la réalisation m’attirait beaucoup plus que l’idée de jouer. J’ai été acteur dans Les Roseaux sauvages parce que Téchiné était un cinéaste qui m’intéressait beaucoup et être acteur d’un cinéaste qui vous passionne, ça signifie être aux premières loges de son travail et voir comment tout cela se passe. Ensuite, j’ai fait deux ou trois films comme acteur mais je n’ai jamais vraiment été convaincu. Je l’ai fait parce qu’on me proposait, il y avait un vrai désir sur moi et j’étais sensible à ça car étant intéressé par la réalisation, je comprenais le désir qu’on pouvait avoir pour un acteur. J’ai donc accepté deux autres films avant de laisser tomber parce que je n’avais pas du tout envie d’être devant la caméra. C’est une exposition qui ne m’allait pas.
Pourquoi avoir voulu traiter de ce sujet de l’homophobie, et plus spécifiquement sous la forme d’un documentaire ?
Dans mes films, il y a des personnages qui sont gays, homos, lesbiens, des personnages qui ont des sexualités qui ne sont pas les sexualités dominantes, mais c’était toujours dans des fictions. Pour moi c’était un trait des personnages, un trait de leurs caractères, mais pas un sujet. Je trouve que le cinéma ne doit pas être à l’arrière-garde de la société, il doit être à l’avant-garde. Je n’avais pas du tout envie de faire un film qui tourne pendant 1h30 sur quelqu’un qui est homo, les questions que ça engendre… Mon univers est un monde où ce n’est ni la question, ni le problème. Dans mes films, je racontais une histoire d’amour entre deux gigolos qui tombent amoureux et qui vivent leur passion à travers les crimes. Dans ce genre d’histoire, la question n’est pas l’homosexualité. C’est un couple de criminels et il se trouve que ce ne sont pas Bonnie and Clyde mais deux garçons. Quand je réalise des films avec des personnages qui ont cette sexualité, je n’aime pas que ce soit fait sous l’angle du problème. En revanche, le documentaire m’intéresse quand il témoigne de ce qui se passe aujourd’hui, maintenant. C’est presque le contraire du film de fiction, on est dans l’histoire d’enfants qui sont victimes de l’homophobie de leurs parents. Dans un film, je n’aime pas trop faire des dialogues explicatifs et préfère qu’ils soient factuels, que les actions soient plus fortes que les dialogues ; là j’ai voulu faire le contraire. J’ai voulu que la parole soit le corps du film, que ce soit leur parole à eux, leurs voix, leurs mots, leur syntaxe… Je voulais montrer mes questions le moins possible et qu’on ait plus l’impression qu’il s’agisse d’un monologue de chaque personne. Je me suis dit que finalement l’empreinte la plus forte d’une personne c’est quand même sa voix, sa manière de parler, avec sa silhouette. J’ai eu envie de traiter de ça, et puis ce sujet me concerne évidemment. J’ai plutôt été entouré par une famille aimante mais je pense que le fait justement de ne pas avoir été confronté personnellement à ce malheur m’a permis d’avoir une écoute plus attentive.
Dans une interview datant d’une dizaine d’années, vous évoquiez déjà la montée de l’homophobie. Quelles différences faites-vous entre l’homophobie d’hier et celle d’aujourd’hui ?
Je pense qu’on va de plus en plus vers l’homophobie parce qu’elle est de moins en moins cachée, elle s’affiche de plus en plus en plein jour, et les victoires qu’on pense avoir emportées n’en sont pas vraiment pour moi. Pour la question du mariage, c’est comme s’il y avait une injonction de se rapprocher des couples hétéros alors que l’homosexualité, c’était aussi une forme de résistance à une norme. La vraie victoire aurait été que le Pacs ouvre exactement aux mêmes droits que le mariage, sans qu’on se mette à faire comme les hétéros.
Depuis combien de temps êtes-vous engagé au sein de l’association Le Refuge et quelles sont les aides que vous apportez aux jeunes pour se reconstruire ? Existe-t-il des structures de ce type à l’étranger ?
Dans le film, on voit des gens qui ont croisé Le Refuge. Tout jeune qui a été mis à la rue va croiser un jour la route de cette association. J’en ai été parrain une fois. C’est une association qui a fait beaucoup de bien à de nombreux jeunes très démunis dans leurs parcours. On leur offre un toit, une écoute, une unité médicale avec des psychologues. Il y a des règles, les gens peuvent rester jusqu’à un an. Cela se développe de plus en plus à l’étranger et aussi dans les DOM-TOM.
Le reportage évoque le rejet parental mais aussi, parfois, la dégradation des relations fraternelles. Est-ce un phénomène aussi courant que la rupture du lien entre parents et enfants ?
J’ai l’impression qu’entre les frères et sœurs, l’attachement et le détachement est moins puissant qu’avec les parents. Ils représentent des maillons entre les parents mais c’est incidentel. Je pense que dans une famille, quand les parents sont défaillants, c’est la structure entière qui vrille. J’ai remarqué dans les témoignages que lorsqu’il y a des frères et sœurs, il y avait plus de facilité à s’éloigner d’une fratrie que d’un parent. Même lorsque le parent est un peu barbare, tortionnaire d’une certaine manière – car il y a vraiment des choses terribles qui sont arrivées à ces jeunes – il reste malgré tout une forme d’attachement à ses parents, alors qu’un frère ou une sœur qui manifeste une violence est quasiment immédiatement banni.
Les témoignages recueillis semblent naturels et l’on ressent une certaine intimité avec les personnes interviewées, en tant que spectateur. De quelle manière parvenez-vous à instaurer un tel rapport de confiance ?
En m’intéressant à eux. Je les vois comme des frères et des sœurs, par une forme d’empathie, de compassion. Il y a quelque chose de très évident : je n’ai pas fait un dossier d’enquête pour comprendre la détresse dans laquelle ils peuvent se trouver. J’ai régulièrement rencontré des jeunes, des amis, qui ont été dans des situations de ce genre. ll y a tout de suite une forme d’empathie qui se crée par rapport à ce qu’ils me racontent. Ils sentaient qu’il n’y avait pas de barrières, qu’ils pouvaient me parler de tout, de drogue, de prostitution, j’ai moi-même évoqué ce genre de sujets. Je pense que mon écoute n’imposait aucune censure.
Dans ce documentaire, tout type de violence est donné à voir, allant de la violence psychologique jusqu’à la violence physique, voire la tentative de meurtre. Quelle était votre volonté derrière le fait de garder un témoignage très poignant, peut-être le plus violent du film, en fin de documentaire ?
C’est aussi pour responsabiliser un peu les discours du Printemps Français, des dirigeants de ces mouvements, qui se répandent à longueur de journée sur les plateaux télé, et montrer que des discours de ce genre, qui sont des formes d’appel à la haine un peu larvées, ont une réalité dans la vie de tous les jours qui peut aller jusqu’au meurtre. Ce ne sont pas juste des mots, ce n’est pas juste dire “moi, je n’accepterais jamais que mon enfant soit homo”, parce que quelqu’un de censé qui dit ça ne sait pas comment ses propos peuvent raisonner dans la tête de quelqu’un qui l’est moins. Je voulais montrer que cette homophobie familiale peut aller jusqu’au meurtre. C’est évidement violent physiquement mais je pense que chacune des personnes filmées reflète une violence inadmissible, une violence morale, physique… De toute façon, dès qu’on enclenche le cercle de la violence, on aboutit à la mort, la destruction, l’anéantissement.
Avez-vous eu des retours de spectateurs touchés par le sujet depuis la diffusion de Famille tu me hais ?
Oui, c’est un film que les gens regardent car ils se sentent interpellés par le sujet. J’espère qu’en montrant des jeunes qui ne se sont pas laissés abattre, ils trouvent la volonté d’avancer. J’ai envie que ce film serve presque de compagnon à des jeunes victimes de l’homophobie, que ces témoignages les aident à surmonter le chagrin, la tristesse, pour se dire que leur vie est devant eux. Les gens qui sont en dehors de ça, qui n’y ont pas été confronté, ont été très choqués que ça se passe aujourd’hui, en France, avec des parents qui ont moins de 50 ans et qui ont été adolescents dans les années 80. On ne parle pas de gens qui ont grandi dans un monde rustre. On parle d’une France des années 80.
Quelles sont vos ambitions pour ce documentaire ?
Les ambitions autour d’un film, je les aies en le faisant. Après le film fait sa vie, il rencontre son public, j’espère qu’il va tourner, voyager, rencontrer des gens, faire bouger des choses à son petit niveau. Mais l’ambition quand on tourne, est d’arriver à se faire écouter, entendre, montrer, diffuser. Moi je suis très modeste quant à l’impact d’un film. Ce n’est pas nous qui déterminons ça mais les gens qui le voient.
Produit par France 3, le film sortira en DVD le 18 mai prochain.
Propos recueillis par Esther Bara
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